Tiré des archives de Washington, le recueil rassemble, dans un ordre chronologique, une quinzaine d'essais et conférences s'échelonnant entre 1930 et 1954, qu'Arendt elle-même ne chercha jamais à éditer. Contribuent-ils vraiment à donner, comme Jérôme Kohn l'avance dans son introduction, "un éclairage global de l'oeuvre" ? L'appréciation vaut sans doute pour les premiers écrits réunis ici - très centrés sur les problèmes de l'intériorité, ce qui pourra surprendre -, notamment celui sur Kierkegaard, dont on mesure l'influence décisive. Autre curiosité : les pages consacrées, après-guerre, aux existentialistes français, à qui Arendt reconnaît le mérite d'avoir redonné à l'action politique toute son importance. Le jugement porté sur Sartre, Camus ou Merleau-Ponty n'en est pas moins sévère. "Sous l'angle de la pensée, écrit-elle en 1954, toutes leurs solutions portent la marque d'une héroïque futilité." On y trouvera aussi de nombreuses considérations sur l'antistalinisme américain, ainsi qu'un essai inédit intitulé "Les oeufs se rebiffent" - allusion au fameux axiome révolutionnaire : "On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs" - rédigé autour de 1950-1951 ... Ces écrits éclairent assurément plusieurs aspects moins connus de la pensée d'Arendt.
Peu de penseurs se sont attaqués aux horreurs et aux complexités du XXe siècle avec la perspicacité et l'intégrité intellectuelle de Hannah Arendt. Philosophe défendant la liberté de l'homme, elle a été parmi les premiers à faire un parallèle entre le nazisme et le bolchevisme et à identifier les totalitarismes comme une menace du monde moderne. Les textes publiés ici, rassemblés par Jerome Kohn, qui fut son assistant, sont - à part un essai sur la nature du totalitarisme et celui sur Kafka publié dans une autre traduction - inédits : écrits d'avant-guerre (sur Kierkegaard, von Gentz, Manheim), essais sur la philosophie de l'existence, sur l'existentialisme français, sur l'anti-stalinisme américain ou sur l'intérêt pour la politique dans la pensée philosophique, ils témoignent de la réflexion que, toute sa vie, Hannah Arendt a menée sur la question du politique, de la modernité et de la condition humaine. En récusant la position traditionnelle de la philosophie, elle a tenté de comprendre les totalitarismes et de proposer une élucidation de l'être-politique humain.
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