Dans le sillage de Regard sur les insectes, premier ouvrage de la collection coéditée avec le Muséum national d'histoire naturelle, le présent livre est d'abord livre d'art, « univers des formes » de la nature en ses fonds marins, dont les artistes sont les dizaines de milliers d'espèces de mollusques qui sécrètent des « coquilles » aux aspects fantasmagoriques, aux infinies variations colorées, aux aspérités inquiétantes, au poli velouté de la surface. Porcelaines, cônes, mitres, volutes, strombes, les favoris des collectionneurs ne représentent pourtant qu'à peine cinq pour cent de la diversité des cent mille espèces connues (le deuxième phylum des êtres vivants après celui des arthropodes), autant sans doute restant à découvrir. Là est l'autre dimension du livre, scientifique et réflexive, cette fois : un « Discours de la méthode» de la systématique des espèces, auquel Philippe Bouchet donne la forme non d'un traité aride mais d'une savoureuse description du métier de malacologue, réflexion nourrie d'exemples concrets sur la biodiversité, la notion relative de rareté des espèces, les menaces dues à la pression anthropique, le rôle patrimonial et scientifique des Muséums d'histoire naturelle, irremplaçables conservatoires de types porte-nom des multiples espèces référencées par la Commission internationale de nomenclature zoologique. Car depuis Linné, qui recensait seulement 700 espèces de coquillages et classait -l'ignorant !-- les coquilles Saint-Jacques dans le genre ostrea (« huîtres ») -- chacun sait, après Otto Müller, en 1776, qu'elles appartiennent au genre pecten - ; depuis Lamarck qui leur consacrait deux volumes entiers, depuis les 40 volumes du Manual of Conchology (publié dans les années 1920), les découvertes ininterrompues ont rendu vains et caduques, dès publication, les répertoires exhaustifs.
« La plupart du temps, on ne sait pas. On voit que tel coquillage nous est inconnu, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il s'agit d'une espèce nouvelle ». Embarqués sur l'Alis, le bateau de l'Institut de Recherche pour le Développement, au large des côtes de Nouvelle-Calédonie, nous suivons l'auteur et son équipe dans leur travail d'exploration, de prélèvements, de tamisage, de tri préliminaire. Avant de crier eurêka ! à la découverte d'une nouvelle espèce, plusieurs années peuvent s'écouler, temps nécessaire aux rares experts internationaux de chaque famille (quand ils existent ) pour se prononcer et en définir les critères. Aussi est-il délicat de préjuger de la rareté d'une espèce, encore plus des menaces d'extinction qui pèsent sur elle, surtout si elles ne sont pas le fait de l'homme : 48% des espèces recensées sur le site de Koumac sont représentées par cinq spécimens ou moins, et 20% par un seul. Mais la zone de recherche, là comme ailleurs, est si étroite que cette rareté extrême peut concerner plus d'un million d'individus. Ignorance abyssale, compensée par la joie et par la fierté du chercheur de découvrir, de nommer, de recenser et de conserver au sein d'une collection scientifiquement constituée, de nouvelles espèces : 350 sont découvertes chaque année.